Maudit?

22/04/2016 10:23

Nous avons vu dans un précédent article combien la naissance du roi de Rome fut plus que problématique non seulement pour la mère mais aussi pour l'enfant qui était mort-né. Fallait-il voir là le présage d'une existence maudite?

Six ans après le sacre de l’Empereur sur les lieux mêmes de ce dernier, au cœur de Notre-Dame à Paris, eut lieu le baptême du roi de Rome le 9 juin 1811 devant un parterre de 7.200 invités triés sur le volet dont toute la famille impériale, la Cour et les grand corps de l'État. Mais devant tant de faste déployé, aucun débordement d’enthousiasme ne fut manifesté tant la crise frappait durement la population parisienne. Selon plusieurs témoins, Napoléon paraissait lui-même préoccupé et triste, occupé avec les préparatifs de sa prochain campagne en Russie qui sonnera le glas de l'Empire.

Présage ou pas, un orage particulièrement violent s'abattit sur la ville et contraria les festivités en cours. On aurait dit que le ciel ne voulait pas de cet enfant ou du moins de la continuité de la dynastie qu'il représentait.

Les Parisiens virent par la suite très peu le chérubin et l'Impératrice Marie-Louise ne fit rien pour gagner leur sympathie. Sans doute gardait-elle à l'esprit le sort que ces derniers avait réservé à sa grand-tante Marie-Antoinette, raccourcie 18 années plus tôt qu'ils avaient surnommée L’Autrichienne ou encore Madame Déficit et qui représentait à leurs yeux tous les malheurs qu'ils avaient à endurer à l'époque.

Comment alors ne pas être surpris qu'à peine une année plus tard, en pleine campagne de Russie, lors de la conspiration du Général Malet annonçant une prétendue mort de Napoléon dans les steppes froides russes, personne n'ait pensé à proclamer empereur l'Aiglon. On comprend alors que le réflexe dynastique ne fonctionne plus. L'arrivée tardive d'un héritier, seulement 6 ans après la proclamation de l'Empire, n'a pas donné une légitimité à cette dynastie.

Né avec une cuillère d'or dans la bouche et bien qu'héritier d'un empire englobant la moitié de l'Europe, le petit Napoléon ne régnera jamais et sera tout simplement oublié. On l'a ignoré en 1812 avec Malet, on ne le verra pas plus lors des deux abdications successives de Napoléon en 1814 et 1815, pas plus qu'en 1830 lorsque l'on crie dans les rues de Paris, Vive Napoléon II.

Enlevé en 1814 à son père, l'Aiglon sera élevé par sa mère comme un prince autrichien. Il portera successivement le titre de prince de Parme, puis celui de duc de Reichstadt, octroyé par son grand-père François, empereur d'Autriche. Il passera le reste de sa vie en Autriche comme officier autrichien, colonel au régiment d'infanterie Nassau, drapé dans son uniforme autrichien immaculé, lui, l'héritier de Napoléon!

Le sort s'acharne contre lui quand à à peine 21 ans, il meurt des suites d'une tuberculose d'abord soignée comme un problème au foie. Sa mère, prévenue tardivement, le rejoignit peu avant qu'il ne meurt le 22 juillet 1832. En s'éteignant, il étouffa dans ses mains une grive qu'il avait apprivoisée. Peu de temps avant de passer de vie à trépas, il aurait dit avec beaucoup de lucidité:

Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire. Entre mon berceau et ma tombe, il y a un grand zéro. 

De plus, le fugace Napoléon II mourut sans alliance ni postérité officielle marquant ainsi la fin de la dynastie napoléonienne à peine créée 28 ans plus tôt. On lui prétend toutefois une liaison avec sa tante par alliance, l'archiduchesse Sophie, déjà mère de l'archiduc François-Joseph qui sera le futur empereur d'Autriche-Hongrie. Cette dernière était une fervente bonapartiste devant son trône de Bavière comme son père Maximilien Ier à Napoléon Ier. Sa sœur aînée, la princesse Augusta de Bavière avait épousé, sur ordre de Napoléon, le prince Eugène de Beauharnais, mariage qui se révéla des plus heureux. Sophie assistera le duc de Reichstadt dans les derniers mois de sa vie. On prétend que le duc serait le père du second fils de Sophie, Ferdinand-Maximilien, futur empereur du Mexique sous le nom de Maximiliano.

Le duc de Reichstadt fut enterré selon la tradition des Habsbourgs dans la fameuse crypte des Capucins, la Kaisergruft, à Vienne. Une simple plaque de cuivre ornée d'une croix tréflée avait été apposée sur son cercueil avec une inscription en latin, seul témoignage en Autriche attestant que le corps enfermé dans ce cercueil était bien le fils de Napoléon, empereur des Français.

AETERNAE . MEMORIA
JOS . CAR . FRANCISCI . DUCIS REICHSTADIENSIS
NAPOLEONIS . GALL . IMPERATORIS .
ET .
MAR . LUDOVICAE . ARCH . AUSTR .
FILII . 
NATI . PARISIS . 20 . MART . 1811 .
IN . CUNABULIS .
 REGIS . ROMAE . NOMINE . SALUTATI .
AETATE . OMNIBUS . INGENI . CORPORISQUE .
DOTIBUS . FLORENTEM .
PROCERA . STATURA . VULTU . JUVENILITER . DECORO .
SINGULARI . SERMONIS . COMITATE .
MILITABIBUS . STUDIIS . ET . LABORIBUS .
MIRE . INTENTUM . 
PHTHISIS . TENTAVIT .
TRISTISSIMA . MORS . RAPUIT . 
IN . SUBURBANO . AUGUSTORUM . AD . PULCHRUM . FONTEM .
PROPE . VINDOBONAM .
22 . JULII . 1832

À l'éternelle mémoire de Joseph-François-Charles, duc de Reichstadt, fils de Napoléon, empereur des Français, et de Marie-Louise, archiduchesse d'Autriche, né à Paris le 20 mars 1811. Salué dans son berceau du nom de roi de Rome. A la fleur de son âge, doué de toutes les qualités de l'esprit et du corps, d'une imposante stature, de nobles et agréables traits, d'une grâce exquise de langage; remarquable par son instruction et son aptitude militaire. Il fut attaqué d'une cruelle phtisie, et la mort la plus triste l'enleva dans le château des empereurs, à Schoenbrünn, près de Vienne, le 22 juillet 1832.

Plus de 35 ans après sa mort, son fils supposé, l'Empereur du Mexique Maximiliano, fut fusillé à Mexico en 1867, à l'âge de 34 ans. Il était l'époux de Charlotte de Belgique, fille de Léopold Ier de Belgique, elle le rejoignit dans l'au-delà 60 ans plus tard, en 1927 à l'âge de 87 ans.

Dans la nuit du 14 au 15 décembre 1940, ses cendres furent rapatriées par Hitler à Paris, cent ans jour pour jour après le retour des cendres de son illustre père. Cette opération avait pour but d'améliorer l'image des troupes allemandes d'invasion aux yeux des Français. Son cercueil fut déposé aux Invalides comme pour son père, dans la chapelle Saint-Jérôme sous le dôme des Invalides, où il restera pendant près de 30 ans jusqu'en 1969 avant de reposer pour l'éternité aux côtés de son père dans la crypte (voir précédent article).

Notons pour finir que son surnom de l'Aiglon lui fut attribué à titre posthume et popularisé par la pièce de théâtre du même nom d'Edmond Rostand.

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Frank Grognet Nivelles
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