Waterloo à la russe!

19/03/2017 16:16

Napoléon a toujours fasciné et bon nombre de cinéastes l’ont immortalisé sur la toile. Quelques films mythiques sont restés dans les mémoires comme le Napoléon d’Abel Gance de 1927 avec le fameux Étienne Dieudonné (voir anecdote) ou encore plus récemment la mini-série Napoléon en 2002 avec un Christian Clavier assez convaincant.


Affiche du film Waterloo (1970) de Bondarchouk

Mais en 1970, c’est un film russo-italien qui sort sur les écrans avec comme thème la célèbre bataille, Waterloo. Aux commandes un certain Sergueï Bondarchouk qui avait déjà réalisé Guerre et Paix, oscar du meilleur film étranger en 1968 et considéré comme le film le plus cher de tous les temps, estimé à l’heure actuelle à 700 millions de dollars. Rod Steiger joue un Napoléon un peu (trop) ventripotent, Christopher Plummer incarne un Wellington assez réaliste et Orson Welles rend assez bien le personnage de Louis XVIII, obèse et goûteux. Mais pour rendre son film le plus réaliste possible, il ne va pas lésiner sur la dépense comme il l’avait déjà fait avec son Guerre et Paix deux ans plus tôt. Riche de ses multiples récompenses données par le régime soviétique, il va obtenir des autorités soviétiques les grands moyens :

  • 1952 : Artiste du peuple de l'Union soviétique
  • 1952 : Prix Staline
  • 1960 : Prix Lénine
  • 1967 : Ordre de Lénine

Comme avec le film Kolberg (voir anecdote) du régime nazi réalisé en 1945, le projet est pharaonique et à la démesure du régime soviétique.

Il va pouvoir manœuvrer une armée de 16.000 figurants en uniforme provenant de l'Armée rouge même. L’URSS, soucieuse de propagande, offre un tiers du financement du film. De plus, l’Armée rouge pourra être assez facilement habillée grâce au fabuleux fonds d’uniformes et d’armes utilisés dans Guerre et Paix.

Le lieu de tournage pour la bataille est Uzhhorod en Ukraine, pays natal du réalisateur. Deux collines sont arasées, on transplante 5.000 arbres, on établit un réseau de 8 kilomètres de routes, on réalise de véritables champs de blé et de fleurs sauvages et on élève les 4 fameuses fermes, clés de voute du dispositif allié. Pour reproduire la boue résultant d’une pluie diluvienne à la veille de la bataille, une dizaine de kilomètres de tuyaux d'irrigation sont installés. Pas moins de cinq caméras seront utilisées pour filmer simultanément depuis le sol, une tour d'une trentaine de mètres, un hélicoptère ainsi qu’une voie ferrée seront également établis à côté du tournage.


Scène du film avec Rod Steiger incarnant l'Empereur

Le commandement d’une telle masse de figurants et de matériels demanda une organisation toute militaire. Des mois avant que le tournage ne débute, les 16.000 soldats s'entraînèrent aux tactiques et mouvements de 1815, au maniement des sabres et des baïonnettes, aux manœuvres de canons. Deux mille soldats furent en particulier sélectionnés pour charger et utiliser les mousquets et fusils. L'armée fut logée dans un campement à proximité du champ de bataille reconstitué. Chaque matin après le petit-déjeuner, les hommes convergeaient vers le rangement des costumes, enfilaient leurs uniformes français, anglais ou prussiens et se mettaient en position 15 minutes plus tard. Les soldats étaient commandés par des officiers qui prenaient directement leurs ordres du réalisateur par talkie-walkie. De plus, le réalisateur avait en permanence quatre interprètes à ses côtés pour l'aider à gérer cette importante réalisation multinationale: un pour l'anglais, un pour l'italien, un pour le français et un pour le serbo-croate.

Le film coûtera au final près de 40 millions de dollars US de l’époque et sera un flop commercial complet avec une recette de seulement 1,4 million de dollars.

Comble de l’ironie, ce film est entaché d’une multitude d’erreurs historiques que les puristes actuels n’auront pas manqué de repérer.

  • À un moment donné, l’Empereur s’évanouit et est transporté dans un  moulin pour s’y reposer, mais aucun témoignage historique ne passe de cet événement et en ce qui concerne le moulin, il en existait bien un mais pas accessible par Napoléon puisque situé à Mont Saint-Jean au-delà des lignes ennemies. Ce moulin avait été bâti en 1777, il était de l'autre côté du hameau, en direction de Bruxelles, à droite de la chaussée, à hauteur du chemin vers le Mesnil. Il existait encore au début du XXe siècle.


Un Napoléon un peu ridicule dans cette scène du film

  • Rod Steiger qui incarne l’empereur apparaît dans une scène avec le visage mal rasé. C’est tout simplement impensable car l'Empereur prenait un soin tout particulier à toujours être glabre.
  • Les troupes de l'Armée impériale avançant font entendre un bruit de bottes persistant alors que l'infanterie napoléonienne était chaussée de sabots ou de souliers.
  • On voit charger à brides abattues la cavalerie française pendant un long moment alors qu’elle ne sut se déplacer qu’au petit trot tant il y avait peu de place sur le champ de bataille (qui est le plus petit de toutes les batailles napoléoniennes) et de plus, elle fut rapidement au contact de l’ennemi.
  • Le décor du champ de bataille semble très désertique alors qu’à Waterloo les blés recouvraient le terrain et qu’il avait plu comme vache qui pisse la veille et que le terrain était boueux.
  • L’uniforme de Napoléon n’est pas toujours conforme. Napoléon portait toujours soit l’uniforme vert de Colonel des Chasseurs de la Garde ou celui bleu des Grenadiers, or ici il est quasi blanc. De plus, Rod Steiger porte en permanence sa redingote grise fermée alors que Napoléon la portait ouverte car ses épaulettes rabattues vers l’avant l’empêchaient de la fermer.
  • Lors de la charge des Scots Greys (Ecossais gris), on les voit arborer leur chapeau à poil avec la plume blanche alors qu’en bataille les chapeaux étaient souvent protégés des intempéries par un tissu huilé noir ne permettant pas de fixer la plume qui n’était d’ailleurs que très rarement mise en bataille pour éviter de l’abimer ou de la perdre.


Scène du film où l'on voit les Scots Greys charger l'infanterie française

  • Dans une scène du film, on voit Napoléon dans sa baignoire mais avec un drap blanc sur la baignoire alors qu’il aurait dû être mis dans la baignoire afin que l’acteur ne se brûle sur les parois brûlantes en cuivre.
  • On voit, lors de la charge de la cavalerie britannique, Lord Thomas Picton, habillé en vêtements civils, mourir d’une balle dans la tête transperçant son haut-de-forme, mais en réalité, il n’existe aucun témoignage corroborant ce fait et on pense plutôt qu’il sera mort suite à une blessure non soignée à la hanche contractée 2 jours plus tôt à la bataille des Quatre-Bras. Il n’avait pas voulu révéler sa blessure de peur d’être suspendu de son commandement.
  • On voit également le Maréchal Grouchy manger des fraises à cheval ce qui est une légende absolue.
  • Dans une autre scène, on voit à un moment donné des officiers autrichiens dans l’état-major de Wellington, ce qui très peu probable.
  • On voit aussi nettement la ferme d’Hougoumont se détacher du paysage alors qu’elle était à l’époque cachée par un bois dense et invisible à la vue des Français.
  • La ferme d’Hougoumont apparaît également comme un imposant château alors qu’elle était une ferme cossue sans plus qui sera détruite en partie par un incendie.
  • Lors des charges de cavalerie française, on voit une douzaine de carrés anglais, mais les témoignages parlent plutôt de 9 carrés au total.
  • En vue aérienne, on voit aussi certains carrés anglais se disloquer alors qu’aucun ne l’a fait à la bataille, sans quoi les troupes de ces carrés auraient été anéanties par la cavalerie française.
  • Lors du travelling aérien sur les carrés britannique attaqués, on ne voit à aucun moment le moindre cheval mort autour de ces derniers alors que le sol en était normalement jonché empêchant les autres cavaliers d’atteindre les troupes britanniques, les protégeant par le fait même.


Scène du film où l'on voit les carrés anglais subir la charge de la cavalerie française

  • Lors de la prise de la Haye-Sainte, on voit se lever un vent violent quasi une tempête qui aveugle Napoléon, aucun fait historique ne le rapporte.
  • Lors de l’arrivée de Blücher, Napoléon dit : Quelle erreur j’ai commise en ne brûlant pas Berlin. Il n’a jamais dit cela ! Il a toujours respecté les villes et capitales qu’il a conquises et je rappelle que Moscou a été incendié par les Moscovites et pas par les troupes françaises (voir anecdote).
  • La célèbre phrase de Cambronne : la Garde meurt mais ne se rend pas, n’a jamais été prononcée par lui. Il l’a toujours affirmé durant toute sa vie, pas plus qu’il n’a prononcé le mot de 5 lettres. C’est l’invention d’un journaliste français quelques jours après la bataille, un certain Michel Balisson de Rougemon.
  • Quand Wellington arpente à la fin le champ de bataille jonché de cadavres, on voit des hommes de troupe amener méticuleusement les morts par civière pour les aligner en rangs d’oignons. Les morts vont rester sur le champ de bataille pendant plusieurs jours et ce sont les paysans du coin qui viendront les ramasser avec leur herse pour les jeter dans des charniers ou les brûler sur des buchés avec leurs montures.
  • La dernière scène montre un Napoléon s’éloignant calmement dans une calèche lancinante alors que la vérité historique est tout autre. Il a dû fuir le champ de bataille à la hâte, dans la cohue générale et sa voiture n’a pas pu progresser vu le déluge de fuyards. Il a dû l’abandonner avec un million de francs or à l’intérieur pour fuir à cheval. Elle sera plus tard saisie par un officier de l’armée de Blücher qui lui remettra un bicorne trouvé à l’intérieur. Sa famille en fera don dans les années 1970 au musée de la Malmaison où elle se trouve toujours.

Contact

Frank Grognet Nivelles
Belgique
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