Moscou brûle-t-il?

05/03/2017 13:41

Lors de l’épisode de l’incendie de Moscou en 1812, la propagande russe à attribuer cet acte odieux aux conquérants français alors qu’il avait été commis par le gouverneur même de la ville, Rostopchine, qui fut disgracié et dû s’exiler (voir article). Mais toute légende est tenace et pour accabler encore plus l’envahisseur, les Russes n’ont pas hésité à lui imputer également la destruction du prestigieux Kremlin.

Un kremlin n’est pas propre à Moscou et est en réalité le nom donné à l’ensemble de fortifications des villes de l'ancienne Russie. Les kremlins abritant, à la fois les infrastructures militaires (magasins, poudrières et arsenaux), les centres de pouvoir et les lieux de culte, avaient une dimension défensive, spirituelle et politique. Le mot serait dérivé du mot kremnevka, qui désigne les arbres dont on se servait pour construire les fortifications. Le kremlin de Moscou est particulier en ce sens qu’il symbolise le centre du pouvoir russe.

Mais revenons en 1812. Napoléon avait bel et bien l’intention de détruire le Kremlin mais uniquement ses magasins de réserve, sa poudrière et son arsenal pour empêcher que les Russes n’en réutilisent le contenu contre ses propres troupes. Il s’agit donc d’une nécessité militaire logiquement légitime en temps de guerre et dans le contexte précis de l’époque. En effet, le 18 octobre 1812, les Russes avaient remporté la bataille de Taroutino sur Murat et aucune paix ne pouvait plus être espérée par Alexandre Ier contraignant l’Empereur à la retraite. Ayant quitté la ville le 20 octobre avec le gros de ses troupes, il y laissa le Maréchal Mortier avec la Jeune Garde pour fixer l’ennemi encore quelques temps. L’ordre de faire sauter l’arsenal du Kremlin fut donné au maréchal Mortier avant d’entamer à son tour sa retraite. Le Kremlin ne fut que légèrement endommagé, la tour de l’horloge ayant été en partie détruite.


Vue du Kremlin par Pyotr Vereshchagin (1834-1886)

Nous pouvons donc dire que la destruction complète et intentionnellement belliqueuse de faire sauter la représentation symbolique du pouvoir russe est très improbable quand on sait que de leur côté, les Russes avaient pratiqué la politique de la terre brûlée tout au long de la campagne n'hésitant pas à détruire de nombreuses infrastructures publiques et des récoltes ne voulant rien laisser aux envahisseurs français; ils le referont d'ailleurs en juin 1941 lors de l'opération Barbarossa de Hitler. De son côté, Napoléon a envahi bon nombre de capitales et villes importantes durant son épopée sans jamais avoir ordonné la moindre destruction (Berlin, Madrid, Vienne, Milan, Naples, Rome, Le Caire, Jérusalem, Zurich,…).

Plusieurs légendes furent créées de toutes pièces par la suite également comme la russe qui prétendit que le Kremlin fut sauvé de la destruction totale par une pluie providentielle qui éteignit les mèches des explosifs ou encore la française qui prétendait que les Russes avaient planifié de faire sauter l’empereur dans le Kremlin lors de son arrivée. Elle était étayée par le fait que les grenadiers de la Vieille Garde avaient trouvé de la poudre dans les caves du Kremlin, logique quand on sait que le Kremlin était aussi un arsenal!

Mais celui qui tira magistralement son épingle du jeu fut sans conteste le Tsar Alexandre Ier deux ans plus tard. Lorsqu’il entra dans Paris en 1814 après la victorieuse campagne de France, il prit un soin particulier à ordonner à ses troupes de ne rien détruire, de payer rubis sur l’ongle tout ce qui serait consommé et surtout d’écarter les troupes irrégulières cosaques du centre-ville qui avaient commis d’effroyables pillages dans la campagne champenoise. Ainsi aux yeux de l’Histoire, Alexandre passa pour être le sauveur de Paris alors que  Napoléon se voyait affubler (injustement) du titre d’incendiaire de Moscou. Cela me rappelle le proverbe africain qui dit que tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. L’histoire n’est-elle pas uniquement écrite par les vainqueurs?


Illustration de Knötel: entrée des souverains alliés dans Paris le 31 mars 1814

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