Les couillons de la Marine?

16/04/2017 13:03

Le 21 octobre 1805 est un jour tristement célèbre pour la Marine impériale française. Elle a vu la destruction ou la capture des 4/5 de ses vaisseaux de ligne, fleurons de sa marine de guerre non loin de Cadix, au cap de Trafalgar.


Carte indiquant le cap de Trafalgar à la pointe de l'Espagne

La marine franco-espagnole coalisée est riche de 33 navires (18 pour la France et 15 pour l'Espagne) soit près de 2.600 canons qui va devoir affronter l'invincible flotte anglaise du célèbre amiral Nelson composée elle de seulement 27 navires pour 2.200 canons. Enfermée dans sa tactique habituelle et rigide de la ligne de file, datant du XVIIIe siècle, la Marine française déploie une longue ligne d'attaque face à la Royal Navy qui elle adopte une toute autre tactique inhabituelle qui consiste à affronter la ligne ennemie perpendiculairement en isolant puis capturant les quelques bateaux de tête et de queue de la file ennemie en coupant la ligne à ces endroits et en profitant de la rapidité de tir par les deux bords sous la ligne de flottaison causant la destruction et la mort dans les bateaux franco-espagnols. Surpris par cette attaque insolite, les marins français, habitués à tirer pour démâter, subissent de lourdes pertes: 21 vaisseaux, plus de 4.000 morts et 3.000 blessés. La Marine française ne se remettra jamais de ce désastre. Cette défaite majeure va considérablement diminuer l'importance de la flotte impériale et considérablement ruiner les projets de l'Empereur d'envahir l'Angleterre tout en l'empêchant de protéger efficacement ses colonies. La flotte française n'a plus alors que 30 navires contre 140 à l'Angleterre. De leur côté, les Britanniques perdent seulement 400 marins et soldats pour 1.200 blessés. L'Angleterre gagne surtout dans cet exploit la suprématie des mers pour un siècle, mais perd un de ses plus célèbres amiraux, Horatio Nelson dont le corps sera ramené en Angleterre, conservé dans un fût d'eau-de-vie.

Les Anglais célèbreront dignement cette éclatante victoire en érigeant en plein coeur de Londres une colonne à l'effigie de leur héros sur Trafalgar Square alors que les Français de leur côté donneront simplement naissance à une expression: un coup de Trafalgar qui signifie un accident désastreux et généralement inattendu, un très mauvais coup.


Trafalgar Square à Londres avec la colonne Nelson

Mais comment en est-on arrivé là?

Suite à la rupture de la Paix d'Amiens par les Anglais, Napoléon était désireux d'envahir l'Angleterre pour mettre fin définitivement à des siècles de provocation et de guerre avec la Perfide Albion. Au camp de Boulogne, il rassemble son armée d'invasion et fait construire de Brest à Anvers des milliers d'embarcations destinées à faire traverser la Manche à sa flottille d'invasion. Mais pour réussir un tel exploit, il lui faut remplir trois conditions:

  1. une tempête destinée à disperser le blocus maritime maintenu par les Anglais;
  2. une diversion orchestrée par les vaisseaux de ligne français pour éloigner la Royal Navy de la Manche;
  3. une protection de la flottille d'invasion par une escadre de haute mer pour lui permettre de traverser la Manche sans encombre.

Pour ce faire, l'escadre du Vice-amiral Villeneuve basée à Toulon, renforcée d'une escadre espagnole, devait filer toutes voiles dehors vers les Antilles et faire sa jonction avec l'escadre de Brest du vice-amiral Ganteaume pour y attirer le plus gros des forces de la Royal Navy afin de dégarnir la Manche. Une fois le plan exécuté, les deux escadres devaient en toute hâte retourner dans la Manche pour y protéger la traversée de la flottille d'invasion.

Mais ce plan audacieux ne s'est pas vraiment passé comme prévu...

La tempête tant attendue ne vint jamais en rade de Brest et Ganteaume ne put donc pas briser le blocus maritime anglais pour sortir avec son escadre. Villeneuve l'attendit en vain aux Antilles pour finalement retourner en Europe et faire relâche dans le port de Cadix au sud de l'Espagne. À ce moment, la formation de la Troisième Coalition obligea l'Empereur à lever le camp de Boulogne pour faire exécuter un volte-face à son armée, devenue la Grande Armée, afin de faire face aux troupes austro-russes qui se rassemblaient en Moravie.

Quittant alors Cadix pour rallier sur ordre le port de Naples, Villeneuve est surpris au cap Trafalgar par la flotte britannique. La suite on la connaît.

Bien que restant bien en vue sur son pont balayé par la mitraille, l'Amiral Villeneuve ne sera pas mortellement blessé contrairement à l’amiral Brueys à Aboukir 7 ans plus tôt en 1798. Capturé par le capitaine du HMS Conqueror à l'issue de la bataille, l'Amiral Villeneuve sera très honorablement traité par l'ennemi anglais et assistera en Angleterre aux obsèques nationales de son adversaire, Lord Nelson. Il sera finalement libéré quelques mois plus tard et débarquera le 18 avril 1806 en France, à Morlaix (Bretagne). Mais il ne rentrera pas à Paris et s'arrêtera à Rennes où, accablé par les reproches de Napoléon, il sera retrouvé mort de six coups de poignard dans la région du cœur dans la chambre de l'auberge où il résidait. Suicide ou assassinat, le doute subsiste encore. Il avait 42 ans. On ne sait pas où il est enterré.


Amiral Pierre Charles Silvestre de Villeneuve (1763-1806)

L'Amiral Ganteaume qui avait survécu au désastre d'Aboukir, étant un des rares survivants du vaisseau amiral l'Orient, gardera l'image d'un commandant trop prudent, n'ayant pas osé affronter la Navy au large de Brest pour aller aider son frère d'armes aux Antilles. Napoléon portera finalement un jugement très sévère à son égard quand il dira de lui à Sainte-Hélène:

Ganteaume n'était qu'un matelot, nul et sans moyens.

Il ne lui avait pourtant pas trop porté rigueur à l'époque car, contrairement à d'autres, il ne lui retira pas son commandement des flottes de l'Atlantique qu'il conservera jusqu'en 1806, pour ensuite prendre la tête de celles de la Méditerranée de 1808 à 1810. Fait Comte d'Empire en 1810, Napoléon le nomme même colonel commandant le bataillon des marins de la Garde le 1er août 1811. Comme président du conseil d’administration de la marine, Ganteaume devient le conseiller et interlocuteur privilégié de Napoléon dans son entreprise de reconstitution de la marine française esquissée en 1810. Pair de France sous la Restauration, il vote la mort du Maréchal Ney lors de son procès. Il meurt à Pauligne à l'âge de 63 ans.


Amiral Honoré Joseph Antoine Ganteaume (1755-1818)

Une épitaphe quelque peu narquoise lui a été faite, qui reste vivante dans la mémoire des élèves de l'école navale de Brest:

Ci-gît l'amiral Ganteaume
Qui s'en fut de Brest à Bertheaume
Et poussé par un fort vent d'Ouest
S'en revint de Bertheaume à Brest

On comprend mieux en regardant une carte de la région de Brest...


Carte de la région de Brest

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Frank Grognet Nivelles
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