Je suis médusé!

24/02/2017 21:17

Tout le monde connaît le fameux tableau de Géricault intitulé le Radeau de la Méduse, chef d’œuvre du XIXème siècle, mais connaissez-vous toute l’histoire qui se cache derrière cette œuvre?


Le Radeau de la Méduse par Théodore Géricault (1791-1824)

La Méduse est une frégate française lancée en 1810 et qui se fera connaître de l’Histoire au travers de deux événements très différents.

Nous sommes d'abord le 8 juillet 1815, moins d’un mois après la cuisante défaite de Waterloo qui a sonné le glas de l’Empire. Au large de Rochefort-sur-Mer, les commandants François Ponée et Pierre Philibert commandent respectivement les deux frégates La Méduse et La Saale. Ponnée propose à l'empereur de protéger sa fuite vers les États-Unis en se jetant sur le vaisseau britannique Bellerophon qui leur barre la route pendant que la Saale passerait. Mais le plan est abandonné et le 15 juillet, Napoléon se rend à bord du HMS Bellerophon, pour se mettre sous la protection des lois d'Angleterre; on connait la suite (voir article).

Mais la Méduse entrera définitivement dans l’Histoire une année plus tard, sous la Seconde Restauration. Nous sommes le 2 juillet 1816, au large des côtes de la Mauritanie, avec près de 400 membres d’équipage à son bord, le commandant Hughes Duroy de Chaumareys, officier incompétent, révoqué sous l’Empire, mais nommé dans ses fonctions à la Restauration, est à la manœuvre pour le plus grand malheur de son équipage. N’écoutant nullement les recommandations de son équipage de l’imminence d’un danger, le commandant se trompe dans son estimation de la position du navire par rapport au fameux banc d'Arguin, obstacle connu des navigateurs à la hauteur de la Mauritanie, et, au lieu de le contourner en passant au large comme l'indiquent ses instructions, il rase les hauts-fonds, et vers 15 heures, la frégate s'échoue sur le banc de sable à quelques 60 kilomètres des côtes. Plusieurs tentatives de renflouement échouent et le navire doit être abandonné. Les officiers et hauts fonctionnaires ont tôt fait de s’emparer des six canots de sauvetage, abandonnant navire et naufragés au mépris du code d’honneur de la Marine. Les 150 membres restants de l’équipage sont entassés dans des conditions pitoyables sur un radeau de fortune de 20m sur 10m, construit à la hâte au moyen de rondins de bois. Ce radeau devait être tiré par les canots de sauvetage, mais ce ne fut pas le cas car le commandant ordonna de couper les amarres suite à la rébellion de ses occupants mettant en péril à ses yeux son propre esquif. Livrés à eux-mêmes pendant 12 jours, sans eau potable et sans nourriture, les naufragés vont affronter non seulement les périls de la mer, mais l’odyssée va également être jalonnée de meurtres, de suicides, de scènes de folie et surtout d’anthropophagie.

Sur les 150 naufragés qui avaient embarqués, 80 meurent la première journée dans une émeute et seuls quinze survivront dans des conditions atroces. Une fois rescapés, ils témoigneront de l’iniquité des officiers responsables de l’expédition et l’affaire de la Méduse se transformera en une catastrophe maritime peu glorieuse pour la monarchie restaurée qui tentera désespérément d’étouffer l'affaire.

Le commandant Hugues Duroy de Chaumareys sera finalement jugé et condamné à 3 ans de prison, rayé des cadres de la marine avec interdiction de servir à nouveau et destitué de ses ordres royaux de Saint Louis et de la Légion d'honneur. S’avançant pour lui enlever ses décorations, le contre-amiral de la Tullaye s'adresse à lui en ces mots :

Vous avez manqué à l'honneur. Je déclare au nom de la Légion, que vous avez cessé d'en être membre, ainsi que de l'ordre royal et militaire de Saint Louis.

Retiré dans son château après son incarcération, il fera pénitence mais criblé de dettes, son château sera saisi à sa mort provoquant le suicide de son fils.

Tout ce drame montrera à quel point la marine était devenue archaïque aux mains des royalistes.

 

Le peintre Théodore Géricault est fasciné par le naufrage de La Méduse. Il en étudie l'histoire et interroge les principaux rescapés comme Jean Baptiste Henri Savigny, le chirurgien, et Alexandre Corréard, l’ingénieur-géographe. Il s'imprègne complètement du drame en faisant construire une reproduction du radeau dans son atelier. Il se fait prêter des cadavres par l'hôpital et va vivre durant une année dans une puanteur étouffante pour réaliser sa toile bouleversante. Mais en regardant ce chef d’œuvre de la peinture française, on peut noter plusieurs anecdotes intéressantes.

Tout d’abord, son ami et admirateur, le peintre Eugène Delacroix, a posé pour lui et il apparaît dans l’œuvre, c’est le naufragé au centre avec le bras gauche étendu.

Si vous regardez la plupart des pieds des naufragés sur le radeau, ils sont pratiquement tous cachés ou bandés, mais pourquoi ? En réalité, Géricault ne savait pas bien les peindre et c’est pour cela qu’il les a camouflés du mieux qu'il pouvait.

Parallèlement à l’œuvre, dans son Études de mains et pieds, Géricault représente des jambes et des bras amputées, car il a voulu sous-entendre que des scènes d’anthropophagie ont eu lieu sur le radeau après 15 jours en mer sans manger. De telles scènes ont été relatées par les survivants.

On constate qu’il y a des gens de couleurs sur le radeau, mais pourquoi? N’oublions pas que la tragédie intervient au moment où la France reprend le Sénégal à l’Angleterre à l’issue des guerres napoléoniennes et que la mission de la Méduse était d’aller convoyer le gouverneur du Sénégal à Saint-Louis, accompagné de troupes indigènes devant débarquer avec lui. Mais ce gouverneur du Sénégal s’est lancé par la suite dans un commerce d’esclaves désapprouvé mais réel. Or la lutte contre l'esclavage était une cause chère à Géricault et l'on suppose qu'il a voulu dans son tableau délivrer un message contre l’esclavage au travers des trois figures d'hommes noirs présentes. On voit que c’est une figure noire qui se situe au sommet de la pyramide des corps, figure qui regarde vers une nouvelle destinée en agitant un drapeau pour se faire repérer de la frégate Argos qui vient à leur secours. Mais le vaisseau est à peine visible à l’horizon, on pourrait penser que le peintre a voulu peindre dans cette figure le summum de l’espoir des naufragés à bord, mais que c’est un faux espoir à l'époque où il réalise sa toile (1818), car il faudra en effet encore attendre 30 ans avant que la France n’abolisse l’esclavage.

Ce qui n’est pas cohérent sur le tableau est l’état physique des survivants et des morts qui apparaissent encore musclés alors qu’ils sont sur le radeau depuis deux semaines sans manger, ce qui auraient dû diminuer leur masse musculaire.

Un dernier élément est relatif à la dégradation inexorable de l’œuvre. En effet, il semblerait, mais ce n’est pas confirmé, que Géricault aurait utilisé un pigment noir appelé bitume de Judée qui était fréquemment utilisé au début du XIXème siècle par les peintres français pour reproduire des teintes brunes très foncées. Ce pigment n'a jamais séché et s'est répandu dans les couches de la peinture qui va noircir peu à peu jusqu'à devenir très sombre et disparaître. Connaissant les effets d’une telle technique, Géricault aurait-il choisi consciemment ce pigment sachant que son tableau, allait, comme la vie, comme le radeau, couler et disparaître dans la nuit ?

De tout temps, le radeau a fasciné l’imagination et on le retrouve fréquemment dans d’autres œuvres à l’instar de la Bérézina, comme ici dans la célèbre bande dessinée d’Astérix légionnaire où les pirates, médusés, se retrouvent sur un radeau après l'attaque des Gaulois se rendant en Afrique dans une galère romaine.

Contact

Frank Grognet Nivelles
Belgique
hussardises@gmail.com