Au tapin!

12/03/2017 21:52

Immortalisé par le peintre Gros, Napoléon franchissant le pont d'Arcole le drapeau à la main a fait de lui une légende. Mais l'on sait que la réalité fut tout autre (voir anecdote).

Mais au-delà du soi-disant exploit de Bonaparte, l'histoire populaire a retenu l'héroïsme d'un jeune tambour nommé André Estienne qui a l'époque avait à peine 19 ans.

André Estienne débuta d'abord dans les campagnes d'Allemagne, comme tambour dans la 51e demi-brigade, et fut un de ceux qui, lors de la retraite de Moreau, traversèrent le Danube à la nage. Mais c’est au célèbre pont d’Arcole qu’il va entrer dans la légende napoléonienne. Il passa le canal avec quelques grenadiers tout en battant la charge sous une grêle de balles, donnant ainsi l'exemple d'une rare intrépidité.

Estienne était inactif avec ses camarades, toujours au même endroit. Son attention était attirée par une fumée compacte qui montait au-delà du groupe de maisons. L'idée lui vint que le feu devait gêner l'action au Pont d'Arcole. Il fit tout haut cette réflexion à son sergent : "Il faudrait, lui dit-il, passer de l'autre côté. - Sais-tu nager ? demande le sergent. - Té, si je sais nager, je crois bien ! - Alors il faut passer. - Mais ma caisse va se mouiller. - Mets-la sur mon sac, dit le sergent, et bat."
Tantôt sur le sac de son sergent qui le précède, tantôt sur sa tête, il bat ferme, ralliant quelques grenadiers qui vont vers la rive ennemie.

Les ennemis surpris et croyant avoir affaire à toute une troupe abandonnent les canons qui ne cessent de balayer le pont sur lequel Bonaparte, un drapeau à la main, la veille, victorieux, s'élançait.


Illustration de la traversée de l'Arcole par le tambour Estienne et quelques grenadiers

Plus tard, à Marengo, ayant sa caisse emportée par un boulet, il prit un fusil des mains d'un grenadier mort et fit le coup de feu comme un simple soldat. Le Directoire lui décerna, comme récompense, deux baguettes d'or, et, lors de la création de l'Ordre.

Mais en 1803, Bonaparte passait la revue de sa garde des consuls dans laquelle André était entré. Il s'arrêta devant le tapin (*) qui portait ses baguettes d'or en sautoir et lui demanda sur quel champ de bataille il avait gagné cette récompense. Le tapin lui conta son histoire, Ce n'est pas assez, mon jeune brave, répondit Napoléon, et détachant de son habit sa croix de la légion d’Honneur, la lui fixa sur la poitrine.

Durant le reste de sa vie, il vécut modestement et raconta à la demande ses exploits passés, mais l’on raconte que sa mort fut aussi incroyable. Alors qu’il visitait en 1837 avec sa fille le Panthéon où l'on venait juste d'inaugurer le nouveau fronton du sculpteur Pierre-Jean David d’Angers, il se vit parmi les héros militaires du fronton, avec sa caisse, juste derrière Napoléon.


Détail du fronton du Panthéon

Sa fille l’interpella :

Regarde père, c’est vous!

Le père regarda, balbutia :

C'est moi ... si haut !

Et d'émotion il tomba raide mort, dit-on!

Cinquante-cinq ans après sa mort en 1892, la Troisième république voulait honorer ses héros nationaux et leva une souscription pour ériger un monument à sa gloire dans sa ville natale, Cadenet en Vaucluse, entre Cavaillon et Pertuis. Sa statue y fut inaugurée le 10 août 1894.


Statue du tambour Estienne dans sa ville natale de Cadenet

(*) le tapin est la personne qui bat le tambour. Au tapin signifie au travail mais faire le tapin signifie en argot se prostituer.

Contact

Frank Grognet Nivelles
Belgique
hussardises@gmail.com