Vous êtes Sourd?
Le Colonel Jean-Baptiste-Joseph Sourd est une de ces figures légendaires et presqu'irréelles de l'épopée napoléonienne. A Dresde, il est fait colonel et baron d'Empire et à Leipzig et Hanau, il est fait officier de la Légion d'Honneur.
Nous n'allons pas ici retracer la carrière exemplaire de ce cavalier hors-pair mais revenir seulement sur la période des Cent-Jours où il est colonel du 2e régiment de Lanciers. Ce régiment est attaché au VIe corps de Lobau après Ligny et fait partie de la brigade Jacquinot avec le 1er Lanciers dans la 5e division de cavalerie. Il comptait 41 officiers et 379 cavaliers en 4 escadrons. Ils portaient la veste verte, épaulettes rouges pour la compagnie d’élite, patte d’épaule verte, collet, parements et revers de la couleur distinctive, à savoir écarlate pour le 1er régiment et aurore pour le 2e régiment.
Juste après Ligny et avant Waterloo, le 17 juin, le Colonel Sourd est à la tête de la cavalerie qui pourchasse l’arrière-garde alliée en se heurtant à la cavalerie lourde britannique à la sortie de Genappe. Le combat est terrible et Sourd y récolte pas moins de six blessures. Il se fait asseoir sur une borne et encourage ses hommes de la voix quand survient le chirurgien Larrey, envoyé personnellement par l’Empereur, qui recommande une rapide amputation de son bras droit. Mais laissons parler Larrey (extrait de Mémoires de chirurgie militaires et campagnes).
Un officier supérieur, le colonel Sourd, vrai et digne guerrier, est un des blessés les plus remarquables de cette journée. Il avait combattu à la tête de son régiment, le 20e Régiment de Chasseurs à cheval (*); c’est dans les charges répétées de ce corps que ce brave colonel reçut presque au même instant plusieurs coups de sabre au bras droit... Deux des blessures pénétraient dans les articulations du coude et du poignet, le troisième coup de sabre avait coupé jusqu’à l’os les muscles du bras et l’artère brachiale: on avait prévenu les effets fâcheux de l’hémorragie par l’application d’un bandage compressif fait sur le champ de bataille, où l’on avait déjà jugé indispensable l’amputation du membre. Dans cette conviction, le colonel me fit appeler pour la pratiquer. En effet, avec plusieurs de mes confrères appelés en même temps que moi près de ce colonel, je la reconnus nécessaire et urgente, et nous y procédâmes immédiatement. Pendant cette opération, le colonel Sourd dicta une lettre à l’Empereur pour le prier de lui conserver le commandement de son régiment. Non seulement il ne manifesta aucun signe de douleur mais à peine le pansement de la plaie du moignon fut-il terminé, qu’il remonta à cheval et s’éloigna... Il parvint peu de temps après à la guérison.
Le certificat médical établi par Poussiergues, chirurgien major au 2e Lanciers, figure dans le dossier du Colonel Sourd aux archives de Vincennes.
Malgré l’affaiblissement total du colonel par la perte considérable de sang avant et pendant l’opération, malgré les douleurs occasionnées par les différentes contusions reçues sous les pieds des chevaux au moment de diverses charges de cavalerie, le Baron Sourd a été guéri en l’espace d’un mois, après quoi il reprit la tête de son régiment.
Une heure à peine après l'amputation de son bras droit, le Colonel Sourd remontait à cheval et reprenait la poursuite… Les lanciers auraient recueilli le bras amputé et, après lui avoir rendu les honneurs, l’auraient enterré et lui auraient dédié un petit monument sur lequel ils auraient inscrit: Au bras le plus vaillant de l’armée. Napoléon, qui n’était pas très loin de l’endroit où se déroulaient ces événements, aurait voulu promouvoir Sourd au grade de général de brigade mais le colonel aurait refusé, ne voulant pas être séparé de son régiment.
Lors de l'affaire de Genappe, le 2e régiment eut 14 officiers blessés: le Colonel Sourd et le Chef d’escadron Fauconet, le Sous-lieutenant Mahieu, porte-étendard, 3 capitaines, 3 lieutenants et 4 sous-lieutenants. Le lendemain à Waterloo, ensemble avec le 1er Lanciers, le régiment mis en échec la cavalerie de Bülow dans le secteur de Plancenoit où 3 sous-lieutenants y furent encore blessés. Le Sous-lieutenant Mahieu, porte-étendard qui fut parmi les blessés aurait pu être bien plus gravement atteint si l'on en juge par l'état de sa médaille de la Légion d'Honneur...
(*) Larrey se trompe ici car en 1803, il est sous-lieutenant au 7e régiment de Chasseurs à cheval qu’il quitte en septembre 1813 pour prendre le commandement du 20e régiment de Chasseurs à cheval. Mais durant la campagne de Belgique, il est bien à la tête du 2e régiment de Lanciers.