Niklas Napoléon

04/06/2017 21:06

En 1815, Napoléon est mis au banc de l'Europe et devient un paria. Alors qu'il embarque dans le Bellérophon pour son ultime exil à Sainte-Hélène, un pamphlet prussien sous la forme d'un mandat d'amener est imprimé par Ernest Littfas et édité par Jonas Spitzfeder. Destiné aux grandes foules et aux paysans prussiens, il le couvre d'opprobre, de vils surnoms et de plaisanteries graveleuses, mais, ce qui est plus étonnant est la représentation de Napoléon qui décore ce mandat d'amener. Elle est copiée d'après le portrait connu de Dahling que ce peintre exécuta durant le séjour de l'Empereur à Berlin en 1806, alors qu'à l'époque il dictait sa loi à la Prusse qui était à genou! Choix dès lors peu judicieux de la part de Jonas Spitzfeder.

 
Pamphlet d'Ernest Littfas et Jonas Spitzfeder

Portrait de Napoléon d'après Heinrich Anton Dahling

Nous en donnons ici une traduction intégrale.

Mandat d'amener pris contre Niklas (sic) Bonaparte, dit aussi Napoléon, Père la Violette, prince de Lamballe, etc., etc., par la grâce de Satan.

Toute la nation allemande connaît trop bien le pécheur susnommé; cette nation sait aussi que ce dernier, condamné à cause de ses anciennes et horribles actions à vivre à l'île d'Elbe (trop agréable prison), s'étant enfui de ladite prison et prétendant revenir de nouveau au meurtre, au pillage et aux incendies, a été mis hors la loi par toutes les Autorités suprêmes d'Europe. Ayant déjà, dans le temps jadis, assassiné de sang-froid des millions de gens et réduit en cendres des milliers de villes et de villages, il doit être considéré comme le plus grand meurtrier et le plus grand incendiaire que le monde ait jamais vu. Sorti de prison, il sema le meurtre et l'incendie pendant peu de temps encore et, ne pouvant atteindre son but, abandonna ignominieusement les siens pour la seconde fois; cette dernière action combla la mesure de ses terribles péchés. Chaque bon Allemand doit particulièrement désirer que ce fils du diable soit enfin payé selon ses mérites. C'est pourquoi nous supplions toutes les autorités civiles et militaires d'employer les plus énergiques moyens pour appréhender ce satanique criminel. Nous publions donc son signalement, par écrit et par dessin, afin que tout Allemand ait la facilité d'arrêter ce terrible pécheur et de le livrer, mort ou vif. Dans le dernier de ces cas, sa tête sera embaumée et louée aux propriétaires d'une de ces ménageries ambulantes, qui montrent des bêtes féroces pour de l'argent, et ce afin qu'elle serve d'épouvantail et d'éternel avis aux Allemands et d'exemple pour les criminels semblables.

Signalement.

De petite taille, replet et gros os; visage rond dont tous les traits sont absolument dépourvus de justice, de sympathie et de pitié. Par contre, l'œil sombre, avide de sang, petit, noir et brillant; nez bossu, lèvres ironiquement relevées, gros menton, cheveux noirs et durs. Le teint du visage est pâle, brun-verdâtre. On peut également le reconnaître à son inquiète complexion; car, tour à tour, il est furieux, il est fou ou il enrage, ou bien encore il est momentanément calme et prend alors la pose donnée par le dessin. Celui auquel le sort donnera l'ineffable chance d'arrêter ce rebut de la société, cet animal, le plus féroce d'entre tous les animaux, aura le droit incontestable d'exiger la troisième partie des sommes énormes que l'exposition de la tête du monstre rapportera certainement. Les deux autres parties de ladite somme sont destinées aux malheureux qui, par la faute du monstre, furent estropiés, devinrent veuves ou orphelins. En outre, cet élu de la fortune aura le fort et doux sentiment d'avoir asséché la source des larmes et du sang répandus en Allemagne; son nom vivra dans l'éternelle reconnaissance des pères et des fils sauvés, dans les larmes de joie de leurs femmes, de leurs enfants et de leurs sœurs.

Vous avez déjà lu, chers amis et confrères, le mandat d'amener ci-dessus; vous avez compris que l'homme, dont il est question, a commis les plus effroyables méfaits, que la justice humaine n'est pas en état de le punir suffisamment; le juste Dieu seul, qui a noté tous les crimes de ce pécheur horrible, peut venger tout ce qu'il a fait de mal et d'indigne à la surface de la terre. Nous désirons vous rappeler le nombre de ses mauvaises actions et vous donner un court aperçu de sa vie. Le criminel susnommé naquit à Ajaccio le 15 août 1769; au mois de mars 1779, il entrait à l'École militaire de Brienne, en France. Après un séjour de cinq ans, élève studieux et appliqué, il fut envoyé à l'Ecole Royale de Paris. Tout jeune encore, il devint lieutenant d'artillerie; il se distingua bientôt pendant la Révolution française, sauta quelques grades et obtint celui de général en chef des armées d'Italie; il conduisit ensuite ses armées en Egypte; il revint de cette malheureuse expédition, suivi de quelques compagnons, rentra à Paris, renversa le gouvernement et se déclara Premier Consul de France. Il avait déjà, en qualité de général en chef, fait trembler les trônes; il en renversa quelques-uns, qu'il remplaça par des Républiques. Chef absolu du gouvernement de la France, il souhaita de plus grands crimes encore, il voulut devenir le maître de l’Europe. A peine venait-il de signer la paix que par ruse et trahison, il provoquait de nouvelles guerres. Confiant dans la fortune, qui semblait le chercher, il jetait des millions de gens en proie à son avidité sanguinaire. Il parvint enfin à la dignité impériale. Il voulut alors vaincre tous les grands Etats européens et placer ses propres créatures sur leurs trônes. Tout d'abord la chance parut lui sourire; mais Dieu, juste et bon, ne pouvait plus souffrir le crime. Une armée de 500 000 hommes de France et de ses Alliés tomba victime de sa cruauté et de son avidité. Il s'enfuit alors à Paris, réunit une armée de 300 000 hommes et essaya de forcer la victoire, que le Roi des rois lui avait retirée une fois pour toutes. Il abdiqua et s'enfuit à l’île d'Elbe. Au bout d'un an, brisant la parole donnée, il revint à Paris et se rassit sur le trône qu'il avait usurpé. Mis hors la loi par tous les grands Etats d’Europe, il créa en trois mois une grande armée sur les frontières de l'État: l'armée de Hollande surtout était très forte. Il essaya la chance et attaqua les Alliés; cependant, malgré ses forces supérieures, il fut complètement battu et dut chercher son salut dans une fuite infamante, pendant laquelle il manqua d'être pris. Il a maintenant de nouveau abdiqué et attend ce que la grâce des Monarques Alliés voudra bien lui accorder. Outre les millions qui furent victimes de sa cruauté, sa conscience vient de se charger de la mort des 60 000 soldats tombés dans la bataille de Belle-Alliance. Soyez persuadés que Dieu payera maintenant ce terrible pécheur selon ses mérites et priez-le qu'il daigne épargner à la terre un second monstre pareil.

Ce mandat d'amener est maintenant la propriété du Musée National de Cracovie et fait partie de la célèbre collection dont le conservateur Ed. Goldstein avait fait don à ce musée.

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Frank Grognet Nivelles
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