Mariage d'intérêts

18/12/2016 12:57

Si vous visitez un jour Versailles, vous y découvrirez un joli théâtre à l'italienne du nom de théâtre Montansier. Il fut inauguré en 1777 en présence du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette. Ce théâtre est le fruit de la ténacité de Mademoiselle Montansier, de son vrai nom Marguerite Brunet. Cette dame (1730-1820) était fille d'un forgeron. Ma sa passion c'est la comédie et le théâtre. Elle dirigera ou créera plusieurs théâtres durant sa vie. Mais elle est également connue pour avoir eu bon nombre d'amants et ne rechignait jamais à offrir ses charmes, même dans la fleur de l'âge, à de beaux belâtres qui croisaient sa route.

Sa vie lui a permis d'accumuler une petite fortune et on la prétend millionnaire lorsqu'elle croise la route d'un jeune général, Napoléon Bonaparte. Malgré ses 65 ans, elle compte bien accroché ce jeune militaire malingre à son tableau de chasse déjà bien garni. Elle demande pour cela à Barras, membre du Directoire et ami intime, de l'aider et c'est ainsi qu'un soir elle apparaît en déshabillé devant le jeune militaire (Mémoires de Barras):

Dans le moment même où je parlais ainsi à Bonaparte, on m'annonce Mlle Montansier, qui venait fréquemment chez moi, sans cérémonie, en déshabillé de voisine. Déjà septuagénaire au moins, elle portait son âge avec l'avantage que soutient un certain embonpoint, de la gaité, de la prévenance dans ses manières, tout ce qui engage la conversation.

Napoléon a vite fait de tomber sous le "charme" d'autant plus qu'il voit en elle un excellent parti pour son avancement car, grâce à sa richesse et à un mariage, elle pourrait le propulser rapidement dans les hautes sphères. Il a alors à peine 28 ans soit près de 40 ans de moins que sa future promise... Voici comment Barras relate les faits dans ses mémoires:

Bonaparte le* désire, il ne m'a fait qu'une question, c'est celle de la fortune de sa future. Cette question est heureusement résolue selon ses vœux, puisqu'il reste 1 200 000 francs encore à Mlle Montansier. On peut très bien entrer en ménage et vivre avec douze cent mille francs, en y joignant un autre capital, celui de son industrie, de son savoir-faire, de Vintrigue enfin, que, pour lui donner un nom honnête. II n'y a donc plus qu'à s'entendre, à se revoir pour faire les accords. Je dois faire trouver ensemble, à dîner, les futurs époux: je les engage chez moi pour le jour même; ils acceptent tous deux avec un empressement égal. Les voyant arriver à l'heure du dîner, se rencontrer en se regardant chacun avec un grand intérêt de physionomie, je serais au moment d'éclater de rire: mais il faut garder son sérieux. Il faut que tout se passe dans les formes. Je place à table Mlle Montansier à côté de moi: je dis à Bonaparte de se mettre vis-à-vis de nous, pour faire les honneurs de son côté. Le dîner ne se passe pas sans que tous les deux aient leurs regards fixés l'un sur l'autre. Nous nous levons de table: les fiancés s'approchent, se mettent à causer très particulièrement; je m'écarte, afin de ne pas déranger l'intéressant colloque; mais déjà, sans vouloir surprendre leurs paroles, je les entends dire de ces mots qui feraient croire à l'intimité d'une connaissance ancienne: "Nous ferons ceci ; nous ferons cela". Nous à chaque instant; c'est déjà ce nous de Corinne si bien exprimé par Mme de Staêl dans son roman célèbre. Bonaparte parle de sa famille qu'il espère faire connaître à Mlle Montansier. Sa mère, tous ses frères apprécieront une femme aussi distinguée, il veut, aussitôt que cela sera possible, la mener en Corse: c'est un excellent climat: pays de longévité, pays neuf, où avec quelques capitaux on peut faire une fortune rapide, la doubler en très peu d'années, etc. Bonaparte fait à sa future des châteaux en Corse, qui valent les châteaux en Espagne.

* le mariage

Au final, les époux ne convoleront pas en justes noces car entretemps, le jeune général a rencontré une certaine Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie de 6 ans son aîné qu'il mariera le 9 février 1796 et qui deviendra la première impératrice des Français sous le nom de Joséphine.

Napoléon n'oubliera pas complètement Mlle Montansier et en 1812, alors qu'elle est âgée de 82 ans, il lui fera parvenir de Moscou la coquette somme de 300.00 francs pour financer son théâtre. Elle s'éteindra paisiblement à Paris le 13 juillet 1820 à près de 90 ans, âge très avancé pour l'époque, un an avant lui.

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Frank Grognet Nivelles
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