Impossible n'est pas polonais

04/07/2015 20:14

Nous sommes en novembre 1808, Napoléon est en Espagne à 80km de Madrid pour entrer dans la ville et prendre possession du pays ibérique. Mais il a en face de lui les monts Guadarrama, barrière naturelle avant d'entrer à Madrid. Venant du nord, le seul col permettant de les traverser est le col de Somosierra qui culmine à 1435 mètres.

Le chemin qui mène au col est sinueux, long et étroit de 2,5 kilomètres et d’environ 10 mètres de large avec un dénivelé de 300 mètres sur le dernier kilomètre, le passage est  fait de quatre coudes. Le paysage est stérile, désert et rocailleux.

Face à Napoléon, le Général espagnol Bénito San Juan qui commande une dizaine de milliers d'hommes et seize pièces d’artillerie. Ses troupes sont constituées essentiellement de miliciens réservistes madrilènes avec quelques régiments réguliers, mais le moral de tout ce beau monde est très bas, hormis chez les artilleurs. Ils disposent ses 16 pièces d'artillerie à chacun des 4 coudes du col selon la disposition du terrain.

Du côté français, c’est l’Empereur qui commande en personne. Il dispose de bonnes troupes d'infanterie et de cavalerie de la Garde.

L'infanterie française essaye de prendre le col mais sans succès. Napoléon s'impatiente car il veut entrer à Madrid le soir même et devant l'insuccès de ses fantassins demande au Général Piré d'aller reconnaître si la cavalerie peut résoudre cette affaire. Celui-ci revient et lui dit:

Impossible, Sire !

Furieux à cette réponse qui lui déplaît, l'Empereur lui répondit sèchement ce qui va devenir une expression bien connue par la suite:

Impossible, impossible, je ne connais pas ce mot-là!

Il se retourna énervé et trouva dressé devant lui l’officier polonais Jan Hipolit Kozietulski qui était de service et lui dit d’un ton sec:

Enlevez-moi cela!

L'officier polonais s'exécute et se place à la tête du 3e escadron des Chevau-légers polonais formé des 3e et 7e compagnies en colonne par 4 sur une profondeur d'environ 90 métres. C'est maintenant que la légende de cette unité commence!

Les superbes centaures tout de bleu vêtus avec leur célèbre kurtka et leur non moins célèbre chapska s'élancent d'abord au trot puis au galop. A la première salve de canon au premier coude du col, beaucoup de cavaliers se couchent et les chevaux morts ralentissent la manoeuvre, mais l'officier polonais harangue ses troupes en lançant non pas le cri officiel de Vive l'Empereur mais plutôt en polonais:

Naprzód psiekrwie, Cesarz patrzy!

Ce qui signifie à peu près

En avant fils de chiens, l'Empereur vous regarde!

La charge continue inexorablement et au détour de chaque coude du col, l'officier commandant s'effondre pour passer le relais au suivant jusqu'à la quatrième et dernière batterie qui est enlevée. Mais l'escadron a subi d'énormes pertes et seules quelques cavaliers valides subsistent; les Espagnols en profitent pour se ressaisir. Mais déjà débouchent les 3 autres escadrons polonais ainsi que les Chasseurs à Cheval de la Garde achevant de mettre l’ennemi en fuite. La charge héroïque des Chevau-légers n'aura duré qu'à peine 10 minutes!

Sur les 150 cavaliers du 3e escadron, on dénombrera 5 officiers et une soixantaine de sous-officiers et soldats morts. Le général espagnol qui voulait continuer à se battre sera attaché à un arbre et fusillé par ses propres soldats. 

Arrivant à la quatrième et dernière batterie, Napoléon vit le seul officier polonais blessé mais encore en vie et lui remit sur le champ la croix de la Légion d’Honneur.

Pour terminer cette anecdote, il faut revenir sur deux citations remarquables qui ont eu pour cadre cet exploit héroïque.

Il était de notoriété publique que s'il y avait un soldat dans la Grande Armée qui était souvent éméché et supportait facilement l’alcool c'était bien un Polonais! Ce qui fit dire à l’Empereur :

Il fallait être saoûl comme un Polonais pour faire ce qu'ils ont fait.

Mais aucun cavalier polonais n'était saoûl ce jour là. Néanmoins l'expression est restée et on dit maintenant de quelqu'un qui abuse de la boisson qu'il est saoûl comme un Polonais.

Le lendemain de l'exploit, Napoléon dira aux survivants du 3e escadron en leur remettant à chacun la Légion d’Honneur:

Vous êtes dignes de ma Vieille Garde, je vous reconnais pour ma plus brave cavalerie.

Ce jour-là, les Chevau-légers polonais ont écrit l'histoire en intégrant la précieuse phalange, crème de la crème.

PS: notez que sur certains tableaux retraçant la charge, on voit les Polonais armés de la lance, ce qui est erroné car ils ne l'ont reçue qu'un an plus tard sur le champ de bataille de Wagram (voir anecdote Une lance!)

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Frank Grognet Nivelles
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