Entorse historique

01/07/2017 12:09

Napoléon a été un précurseur en matière de propagande. Il a été le premier à utiliser tous les moyens médiatiques qu’il avait à sa disposition pour façonner son image et préparer sa légende: peinture, sculpture, journaux, monnaie et lois.

Qui n’associe pas Napoléon au code civil? Qui n’a jamais vu un tableau épique de Napoléon? Qui n’identifie pas Napoléon à son bicorne caractéristique?

Soucieux de marquer son époque et la postérité, il a su s’entourer d’artistes pour glorifier sa personne et le plus talentueux d’entre eux était le peintre Jean-Louis David qui laissera des chefs d’œuvre connus de tous. Il finira d’ailleurs sa vie, banni d’une France royaliste, à Bruxelles. Il repose au cimetière de Bruxelles à Evere.

Lors de son ascension comme premier empereur des Français, Napoléon commande à David 4 grands tableaux : Le SacreL'IntronisationL'Arrivée à l'hôtel de ville et La Distribution des aigles. Seules la première et la dernière oeuvres verront le jour. Mais dans chacun de ces tableaux, l’artiste a dû composer avec la volonté du jeune empereur qui s’est permis quelques entorses à la réalité historique.

Ainsi dans le Sacre, la reine mère Maria Letizia Ramolino est présente, bien en vue, assise au balcon pour montrer la cohésion familiale derrière le nouvel empereur, mais elle n’était pas présente. Elle était en désaccord sur son mariage et son couronnement et n'avait pas voulu assister aux festivités officielles. Elle n'acceptait pas non plus qu'il ait interdit à son frère Lucien d'assister au sacre.


Détail du tableau du Sacre de Napoléon par David (1807, musée du Louvre)

Mais la liberté historique la plus flagrante se trouve sur la Distribution des aigles, au niveau des personnages se trouvant derrière l’empereur.


La Distribution des aigles par David (1810, Versailles)


Détail de La Distribution des aigles par David (1810, Versailles)

En effet, si l’on observe bien la posture d’Eugène de Beauharnais, elle est inhabituelle, semblant contre nature. En effet, il semble déformé, avec sa jambe exagérément en avant de son corps, sa cuisse semblant disproportionnée. Si l’on compare le tableau final avec l’esquisse initialement présentée par David à Napoléon, on remarque que devant Eugène se tenait, assise, sa mère, Joséphine, l’Impératrice. En réalité, il faudrait dire l’ex-impératrice car le tableau a été achevé et présenté en 1810 soit 1 an après le divorce de Napoléon et Joséphine. Dès lors, même si les événements relatés datent de 1804 et que Joséphine était belle et bien présente en qualité de nouvelle impératrice, en 1810, elle devenait indésirable. La raison d’État prime sur le reste.


Esquisse préalable de David pour son tableau La Distribution des aigles

En comparant un peu plus loin le tableau, on constate encore deux choses intéressantes.

Le ciel en haut à droite du tableau semble désespérément vide sur le tableau final alors que sur l’esquisse on remarque l’allégorie de la Victoire jetant des lauriers aux officiers brandissant les drapeaux qui a maintenant disparu faisant place à un banal ciel clément. Cette disparition s’explique par la volonté de l’Empereur de rester dans une représentation historique et non allégorique…sauf pour Joséphine.

Dernier petit détail, à l’arrière, entre les soldats se précipitant avec leurs étendards et le sapeur logiquement barbu avec son grand tablier blanc, on aperçoit en arrière-plan un soldat décoiffé en contrebas de l'estrade, portant sur l’épaule un drapeau roulé sur lequel on discerne nettement le mot République qui tourne le dos à la scène et s’en éloigne. C’est un message clair de l’empereur qui signifie que la République est définitivement terminée. Une page se tourne.

Détail du tableau La Distribution des aigles

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Frank Grognet Nivelles
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