Boulet vs Duroc

02/07/2015 19:08

La campagne de Saxe de 1813 fut une véritable hécatombe de généraux français parfois parmi les plus illustres.

Le maréchal Bessières vient de mourir le 1er mai 1813, tué par un boulet qui lui traversa la poitrine. Nous sommes le 22 mai 1813, le lendemain de la victoire de Bautzen. L'armée français poursuit l'ennemi et l’Empereur galope vers l’avant-garde suivi par la cavalerie de la Garde, commandée par le général Walther.

Au bivouac, le matériel et les bagages sont chargés sur les voitures du général Duroc. Le duc de Frioul, proche de l'Empereur, vient de confier ses papiers personnels et sa montre à son domestique Coursot qui rejoindra comme valet de chambre Napoléon à Sainte-Hélène  en 1819:

Tiens, mon vieux Coursot, si j’ai la gueule cassée, tu la garderas, dit-il.

Il rejoint ensuite rapidement la suite de Napoléon avec les maréchaux Berthier, Mortier et Soult, le grand-écuyer Caulaincourt et le général baron Kirgener, beau-frère de Lannes, fraîchement nommé général de division du génie.

Kirgener et Duroc

Au-delà du petit village de Markersdorf, la cavalerie russe et des uhlans prussiens tiennent encore tête aux français dans une ultime action destinée à retarder l'ennemi. Napoléon surpris et impatient, s'écrie :

Mais ces gens-là renaissent donc de leurs cendres ?

A un moment un boulet perdu tombe au milieu de l'escorte chamarrée, renversant 3 cavaliers et projettant l'un d'eux dans les jambes du cheval de l'empereur qui s'écrie dans la direction de Duroc:

Duroc! La fortune nous en veut aujourd'hui.

Après avoir repoussé l'ennemi, l’Empereur et sa suite dépasse le village de Markersdorf et gagne une petite éminence arborée pour observer les mouvements de l'ennemi. Mortier, Duroc et Kirgener sont restés un peu en arrière. Un dernier boulet russe fuse, vient percuter un arbre, ricoche, manque de peu le maréchal Mortier, qui est heureusement indemne, mais traverse le corps du général Kirgener à la hauteur de la ceinture le tuant net. Il continue sa course meutrière et vient frapper mortellement au bas-ventre le duc de Frioul, Gérard Christophe Michel Duroc.

Son ami, le chirurgien Larrey, rendit visite au mourant, lui qui l'avait déjà sauvé en Egypte au siège de Saint Jean d'Acre d'une vilaine blessure d'un éclat de boulet à l'aine droite:

Le général Duroc avait eu les parois du bas-ventre enlevées par un boulet de gros calibre, les intestins déchirés dans plusieurs points, et expulsés hors de l'enceinte abdominale. Je reconnus avec la plus vive douleur, que tous les secours de notre art ne pourraient l'arracher à la mort prochaine et inévitable qui l'attendait.

On sait que le Grand-Maréchal du Palais réclama que l'on abrège ses souffrances tant la douleur était intense et insupportable. Il reçut la visite de son ami l'Empereur qui était extrêmement affligé, mais il eut la force de lui parler:

Toute ma vie n'a été consacré qu'à votre service; je ne la regrette que pour l'utilité dont elle pouvait vous être encore.

Duroc, il y a une autre vie, c'est là que nous nous reverrons!

Oui, Sire, mais ce sera dans trente ans, lorsque vous aurez triomphé de vos ennemis et réalisé toutes les espérances de notre patrie...

Napoléon resta plusieurs minutes près de son ami mourant, mais Duroc finit par rompre le silence assourdissant:

Sire, allez-vous en, ce spectacle vous afflige!

Caulaincourt qui assiste à la scéne raconte dans ses mémoires:

Des larmes brûlantes coulaient de ses yeux (de Napoléon) et tombaient sur ces vêtements. Nous revînmes silencieux au camp.

Arrivé au bivouac, Napoléon s'isole silencieux dans sa tente, prostré, la tête baissée entre les mains. Un de ses grenadiers dira:

Pauvre homme, il a perdu un de ses enfants!

Le Grand-Maréchal du Palais était véritablement intime avec Napoléon et sa disparition brutale affecta profondément l'Empereur, au point de lui faire arrêter la suite des opérations militaires. En effet, Drouot qui vient lui demander des ordres pour l'artillerie reçoit comme seule réponse:

A demain tout!

Quatre ans jour pour jour après son ami le maréchal Jean Lannes, tombé à Essling le 22 Mai 1809, trois semaines après le maréchal Bessières, tué à la veille de Lützen le 1er mai 1813, voici un troisième de ses fidèles qui le quitte tragiquement.

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Frank Grognet Nivelles
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