Bérézina suisse

04/03/2017 20:05

Comme tous les pays placés sous la tutelle de l’Empire, la Suisse devait fournir son quota de chair à canon. Vêtus d'uniformes rouges, les fiers et téméraires soldats helvètes ont toujours été très prisés des monarques français. En effet, de Louis XI (1480) à Louis-Philippe (1831), c'est un million de Suisses qui vont servir en France.


Troupes napoléoniennes suisses (Aquarelle de Patrice Courcelle)

On se rappelle les épisodes marquants comme en 1616, la création du régiment permanent des Gardes Suisses par la régente Marie de Médicis, mère de Louis XIII, qui officieront comme gardes des palais. Ou encore le terrible massacre le 10 août 1792 de plusieurs centaines de Gardes Suisses aux Tuileries lors de la Révolution française. Finalement en 1831, la Légion étrangère viendra définitivement remplacer les troupes étrangères au service de la France.

Mais en cette année 1811, l’Empereur prépare son invasion de la Russie et réunit la plus grande armée jamais constituée de l’histoire avec plus d’un demi-million d’hommes venant de 22 nations différentes. Les Suisses sont de la partie, mais refroidis par les exactions terribles de la campagne d’Espagne, ces derniers ne marquent pas d’enthousiasme à servir la France et son empereur. Beaucoup de recrues des cantons manquent à l’appel. L’empereur s’en plaint ainsi que de la qualité de la bleusaille. On n’hésite pas à envoyer des adolescents qui plus est étrangers, alors même que Napoléon ne voulait voir que des Suisses authentiques sous l’uniforme rouge. Napoléon entre alors dans un de ses colères épiques et menace directement la Confédération au travers de la députation helvétique venue le féliciter pour la naissance de son fils:

J’ai écrasé les Russes, je viendrai à bout de la Suisse. Un beau jour, à minuit, je signerai la réunion de votre pays à la France.

Après l’annexion brutale du Valais et l’occupation du Tessin par des troupes françaises, les Helvètes obéirent et les recrues furent livrées parfois parmi des condamnés pour tapage nocturne ou rixes ou encore parmi des fils de famille pauvres poussés par la misère et le désir de venir en aide à leurs parents. Au final, la Suisse donnera près de 8.200 hommes de troupe à l’armée impériale.

Emmenés par le colonel grison Raguettly, les soldats suisses venaient des 19 cantons avec bon nombre de Vaudois. Quelques centaines rentreront chez eux après la terrible campagne de Russie. Le colonel mourra de fatigue après avoir été capture par les Russes à Vilna.

Mais le fait d’armes le plus marquant des Suisses fut leur sacrifice au passage de la Bérézina pour permettre au reste de l’armée d’échapper aux hordes russes. C’est pendant les journées du 27, 28 et 29 novembre 1812 que s’illustrèrent les quatre régiments suisses de la Grande Armée.

Les fameux soldats rouges ont la mission de couvrir la retraite des troupes de Napoléon. Ils sont à peine 1.000 survivants de la terrible campagne et après une nuit durant laquelle il a gelé à pierre fendre, sans feu et sans nourriture, les Suisses engagent la bataille contre les Russes. À plusieurs reprises la cavalerie russe les charges. Les rangs s’éclaircissent. On serre au centre. L’héroïque troupe ne forme bientôt plus qu’une masse qui va ployer sous la rafale de fer et de feu, quand la voix puissante du vieux colonel suisse Raguettly se fait entendre:

Soldats, tenez ferme ! Ne cédez pas, tenez ferme !

Bientôt à court de munitions, ils chargent à la baïonnette les unités russes et défendent au corps à corps la tête de pont sur la rive droite du fleuve.


Troupes suisses (illustration)

Sous les ordres du capitaine Blattmann qui mourut dans l’affrontement, le lieutenant Légler ordonne à ses braves soldats suisses d'entonner un chant de son enfance afin de leur faire reprendre courage. Ce chant restera dans l'imaginaire populaire suisse sous le nom mythique de Chant de La Bérézina dont voici les paroles en français (adaptées par Gonzague de Reynold):

Notre vie est un voyage
Dans l'hiver et dans la nuit;
Nous cherchons notre passage
Sous un ciel où rien ne luit.

La souffrance est un bagage
Qui meurtrît nos reins courbés.
Dans la plaine aux vents sauvages
Combien sont déjà tombés ?

Dans la plaine aux vents sauvages
La neige les a couverts.
Notre vie est un voyage
Dans la nuit et dans l'hiver.

Pleurs glacés sur nos visages,
Vous ne pouvez plus couler.
Et pourtant, amis, courage,
Demain va nous consoler.

Refrain:
Demain, la fin du voyage
Le repos après l'effort,
La patrie et le village,
Le printemps, l'espoir, la mort.

En réalité, ce chant de la Bérézina a été logiquement chanté en allemand par les soldats suisses qui étaient en majorité germanophones. Les paroles sont l'œuvre d'un poète allemand, Ludwig Giske.

Unser Leben gleicht der Reise                         La vie ressemble au voyage
Eines Wandrers in der Nacht                              D'un pèlerin dans la nuit.
Jeder hat auf seinem Gleise                               Chacun a durant sa route
Vieles, das ihm Kummer macht                      Bien des peines, des soucis.

Aber unerwartet schwindet                              Mais soudain va disparaître
Vor uns Nacht und Dunkelheit,                                  La nuit et l'obscurité
Und der Schwergedrückte findet                        Et l'accablé bientôt trouve
Linderungen für sein Leid                               Ce qui calme son tourment.

Darum lasst uns weiter gehen!                         Poursuis ainsi ton voyage,
Weichet nicht verzagt zurück!                                 Ne te décourage plus.
Hinter jenen fernen Höhen                                Au-delà des hautes cimes
Wartet unsrer noch ein Glück.                       T'attend encore un bonheur.

Muthig, muthig, lieben Brüder!                Prends courage, prends courage,
Gebt die bangen sorgen auf!                                   Abandonne tes soucis.
Morgen geht die Sonne wieder                             Déjà demain va renaître
Freundlich an dem Himmel auf.                             Au ciel le brillant soleil.

Vous trouverez sous ce lien, une interprétation musicale de ce chant.

A la fin de l’affrontement, seuls 300 Suisses répondront à l’appel, dont 100 seront blessés. Au total, à peine 5% des soldats suisses engagés dans la campagne auront réchappé.

Le sacrifice du 28 novembre fut un acte de bravoure des Suisses qui firent honneur à leur engagement et leur parole donnée pour se sacrifier au lieu de fuir et d'abandonner le combat alors que beaucoup de défections et de désertions eurent lieu parmi les autres nombreuses recrues issues de la fameuse armée des 22 nations.

Il est toutefois triste de constater qu’aucun monument ne rappelle en Suisse cette fameuse bataille alors que ceux qui se sont sacrifiés l'ont fait pour la Suisse, au nom de l'honneur militaire suisse.

La Bérézina fut la dernière bataille qui vit des régiments suisses participer à un conflit. Le 15 mars 1814, la Diète générale décréta la fin des régiments suisses au service de Napoléon. L’empereur dira de ses troupes suisses:

Les meilleures troupes, celles auxquelles vous pouvez avoir le plus de confiance, ce sont les Suisses, elles sont braves et fidèles.

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Frank Grognet Nivelles
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