Cupidons orientaux

10/04/2017 21:15

Les soldats des armées européennes durant l'Empire ont rivalisé d'élégance et de couleurs. C'est à celui qui était le plus beau, le plus grand, le plus imposant, le plus chatoyant. On devait être vu et impressionner. On portait des coiffes très hautes pour augmenter sa taille, on arborait des épaulettes pour paraître plus imposant, on se vêtait d'uniformes voyants pour défier la mort. Rares étaient toutefois les tenues qui étaient seyantes et confortables et aussi appropriées aux conditions météorologiques. Ainsi les tenues françaises étaient en laine ce qui n'est pas vraiment adéquats sous le soleil andalou. La Grande Armée a également terriblement souffert dans les steppes russes avec des températures descendant allègrement sous les -20°C voire les -30°C. Seules les troupes russes étaient habituées à un tel climat aussi rude. Leurs bottes étaient fourrées et leurs habits doublés pour résister à la morsure du froid. Mais ce qui surprenait avant tout les soldats napoléoniens était la singularité de certaines troupes russes qu'ils étaient amenés à combattre...

Le 5 novembre 1812, on déposa à l'hôpital militaire de la ville de Krasnoïe un général français blessé. Cela ne surprit pas les chirurgiens présents étant donné que plusieurs généraux français avaient déjà été tués quelques mois plus tôt à la terrible bataille de la Moskowa. Mais ce qui intrigua particulièrement ces derniers était la flèche à la plume colorée plantée dans la blessure du haut gradé...

L'infortuné général avait été victime de la terrible cavalerie kalmouke, unité irrégulière de l'armée russe constituée de cavaliers originaires des steppes du bassin de la Volga. De petites statures, féroces de réputation, ces combattants étaient les descendants directs des hordes des redoutables guerriers mongols de Genghis Khan, encore habillés et armés tels leurs ancêtres. Appelés par les Français les Diables de l'Enfer, ces cavaliers issus d'un autre âge portaient des tenues colorées et étaient affublés d'un chapeau mou fait de poils hirsutes duquel parfois s'échappait une queue de cheval flottant au vent. Leur apparition sur les champs de bataille semait la terreur dans les rangs français.

Malgré la nature apparemment archaïque de leur équipement, ils prouvèrent maintes fois leur efficacité redoutable au combat. Leur arc était une arme formidable, enveloppée dans du crin de cheval et de l'écorce de bouleau pour éviter l'humidité. La corde était faite de tendon d'animal pouvant tirer une flèche à plus de 500 mètres, distance à laquelle un fusil d'infanterie parvenait à peine à être précis. Ils parvenaient même parfois à ficher leurs flèches dans l'étroit interstice des cuirasses des cavaliers français.


Cavalier kalmouke

Associés aux Kalmouks, les Bashkirs n'avaient rien à leurs envier. Peuple d'origine turque, ils vivaient également au sein de la Russie. Cavaliers hors pair issus des steppes de l'Oural, ils déroutèrent les troupes françaises avec leur tactique particulière venant du fond des âges. D'abord, ces cavaliers passaient des heures à tourner autour de leur ennemi en lui déversant un torrent de flèches qui parvenait à anihiler des unités entières. Des officiers français témoignent:

Ils volaient autour de nos troupes comme un essaim de guêpes, filant comme des flèches. Il était difficile de les contenir et leurs attaques revenaient sans cesse. Ces barbares encerclaient nos escadrons en leurs décochant des nuages de flèches tout en hurlant leurs cris de guerre.

Quand ils attaquaient, ces cavaliers mettaient leur carquois en travers de leur poitrine, bandaient leur arc avec deux flèches et en maintenaient deux autres entre leurs dents. Arrivés à 40 pas de l'ennemi, ils décochaient leurs quatre traits très rapidement et agrippaient alors leur lance attachée sur le côté de leur monture pour finir la charge. Ainsi, ils parvenaient parfois à toucher jusqu'à 5 soldats ennemis. Étourdis par l'impact de telles pratiques ancestrales de combat, les forces françaises de retour de Russie racontaient alors des histoires terrifiantes de bêtes sauvages à forme humaine qui mangeaient la chair de leur ennemi mort.

Les soldats français finirent par les appeler les Cupidons orientaux tant leur arc était leur attribut principal qui ne semait pas l'amour mais bien la mort et la désolation.

Mais ces êtres décrits comme des sauvages sanguinaires étaient en réalité amicaux envers les habitants des villes conquises comme l'attestèrent des citadins allemands et français. Ainsi, dans sa ville de Weimar, le célèbre poète allemand Goethe accueillit avec curiosité ces guerriers bashkirs. Goethe fit une telle impression à un commandant bashkir que ce dernier lui remit son arc et ses flèches en cadeau. Des années plus tard, Goether montrait toujours fièrement à ses invités ce précieux cadeau insolite.


Cavalier bashkir

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Frank Grognet Nivelles
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