Tot ziens!
Au revoir! a-t-on failli dire en 1832, à peine 17 ans après la bataille de Waterloo, 6 après l'érection de la butte du Lion et 2 ans après l'indépendance de la Belgique.
En effet, à cette date, le Parlement belge est en ébullition. Le libéral Alexandre Gendebien demande la destruction du Lion afin de remercier la France pour son aide dans la libération récente d'Anvers. Il souhaite convertir le lion en bombes et boulets pour la défense de la liberté et de l'indépendance des deux peuples et le remplacer par un monument funèbre sur lequel flotteraient, ensemble, à perpétuité, les couleurs de la Belgique et de la France.
Il ne faut pas oublier que la Belgique est fraîchement indépendante et que les Bataves continuent à tenter de mettre fin à l’indépendance belge. Il y a eu la campagne des Dix-Jours du 2 au 12 août 1831 qui fut une tentative manquée par Guillaume Ier des Pays-Bas, puis le refus des Néerlandais de libérer la citadelle d'Anvers qui sera assiégée de novembre à décembre 1832 par l'Armée du Nord, corps expéditionnaire français commandé par le Maréchal Gérard. Or le Lion est un monument à la gloire des Pays-Bas, ennemi juré du moment.
Toutefois la proposition de Gendebien ne fait pas vraiment l'unanimité et pas seulement parmi les politiciens belges mais également auprès des diplomates étrangers y compris français. Même la presse belge s'en mêle.
Le journal le Belge titre Les monuments sont des livres d'Histoire à l'usage des peuples. Respectez-les si vous voulez foncer une nation.
Le journal L'indépendant titre Nous regrettons de voir mêler les souvenirs de 1815 à la gloire présente. Waterloo appartient à l'Histoire; le présent seul appartient aux chambres belges.
Mais Gendebien est tenace et ne se laisse pas impressionner, il veut que l'image de cet odieux et féroce lion néerlandais qui menaçait de dévorer les Belges soit abattue. Mise au vote, sa proposition de loi ne passe et le Lion est "définitivement" sauvé.
En 1903, l’écrivain et diplomate belge, Albert du Bois, fervent militant wallon exprimant son désir de se rattacher à la France, composa un poème polémique pour exprimer son indignation face au Lion qu’il considérait comme un affront envers la Wallonie et la France.
Détruisez ce Lion ! Détruisez cette Brute !
Ne glorifiez pas le souvenir fatal
De l'heure et de l'endroit qui virent notre chute,
Par ce bronze et ce piédestal !
On vous brave ! On vous raille ! On vous souille ! On vous joue !
Wallons, n'ayez pas l'air de n'y comprendre rien !
Un crachat sur la face, un soufflet sur la joue,
Ne semblez pas penser : "C'est bien !"
Parce que, nos héros écrasés, nous cessâmes
D'être le premier peuple, et que nous n'avons plus
Le pouvoir d'imposer notre idéal aux âmes,
Parce que nous fûmes vaincus,
Pour insulter le sol où gît notre héroïsme,
Pour célébrer ce deuil et cet écroulement,
Pour acclamer, pour exalter ce cataclysme,
Nous avons fait ce monument !
Pour nous vanter d'avoir abandonné le Maître,
Au plus tragique, au plus formidable moment,
Et d'avoir été vils, félons, lâches peut-être,
Nous avons fait ce monument !
Et soudain - est-ce un rêve ? -
Le piédestal se meut ; le Lion se soulève ;
Le grand Lion de bronze, au fond du ciel plus clair,
Se cabre ; on voit trembler et se dresser dans l'air,
Puis de pencher et s'écrouler sa masse lourde,
Dans le mugissement d'une explosion sourde...
Et nos morts, dans le sol glacé troublés ainsi,
Songèrent :
- L'Empereur repasse par ici !...
Après la Première Guerre Mondiale d'autres énergumènes tenteront pour se faire connaître sans doute de rééditer la demande de Gendebien mais en pure perte.