Il vaut mieux parfois s'abstenir

26/08/2015 17:50

Après l'écrasante victoire de Napoléon en décembre 1805 sur la Russie et l'Autriche à Austerlitz, la Prusse reste tranquille jusqu'au mois d'août 1806, et semble se contenter de la situation que lui a offerte Napoléon en concédant le Hanovre à Frédéric-Guillaume III et à la Reine Louise.

Mais dès le début août, le Roi de Prusse est mis au courant de négociations engagées entre Napoléon et l'Angleterre sur la restitution du Hanovre à cette dernière. Il ne fait dès lors pas bon être français à Berlin à cette époque. Les officiers ne sont plus salués et les Français présents dans la capitale berlinoise se font copieusement insulter par la population.

Le Prince de Hohenlohe ose dire, sans que le ridicule ne le tuât :

J’ai battu les Français dans plus de soixante affaires (!), et, ma foi, je battrai Napoléon pourvu qu’on me laisse les bras libres quand je serai aux prises avec lui.

Pour les généraux prussiens, l’Empereur n’est pas digne d’être caporal dans leur armée. Quant aux maréchaux, généraux et officiers français, ils n'ont pas plus d'estime auprès de ces messieurs:

Que deviendront devant nos officiers qui ont appris la guerre dès leur jeunesse, ces tailleurs et ces savetiers improvisés généraux par leur Révolution ?

Comble de l'outrage, les élèves officiers de la Garde, jeunes blancs-becs tout juste sortis de l’école, allèrent jusqu'à aiguiser la lame de leurs sabres sur l'escalier en pierre de l'hôtel de l'ambassadeur français à Berlin, M. de Laforest. Le colonel des Gardes alla jusqu'à dire:

Je regrette que les braves Prussiens se servent de sabres et de fusils; des gourdins suffiraient pour chasser ces chiens de Français!

Lorsque le Colonel Marbot, de retour de Berlin, rapporta ces faits à Napoléon, celui-ci écuma de rage:

Les insolents fanfarons apprendront bientôt que nos armes sont en bon état !

Tout ce beau monde semblait oublier que quelques mois plutôt, ces chiens de Français avaient mis en déroute deux des (soi-disant) plus grandes armées de l'époque à Austerlitz...

Le Roi de Prusse finira en octobre par lancer un ultimatum à Napoléon, lui enjoignant de retirer l'ensemble de ses troupes du sol prussien. C'est une déclaration de guerre. La suite on la connaît. Quinze jours plus tard, l'armée prussien sera anéantie en seulement deux batailles, le même jour, 14 octobre 1806: Iéna et Auerstaedt. Elle perd près de 45.000 hommes, 40 drapeaux et toute son artillerie. Une humiliation!

Moins d'un mois après être entré en campagne, Napoléon entre à Berlin le 27 octobre 1806. Le Prince de Hohenlohe et toute son armée (16.000 hommes, 6 régiments de cavalerie, 60 canons et autant de drapeaux) est capturé. Le 7 novembre, Blücher capitule à Lübeck.

Mais revenons à nos jeunes cadets bravaches qui acéraient leur lame quelques mois plus tôt. Ils sont maintenant prisonniers de guerre et entrent tête baissée dans Berlin devant leurs compatriotes, laissons parler dans ses Mémoires le Colonel Marbot, aide de camp d'Augereau:

Les Prussiens se sentaient humiliés par la défaite de leur armée et l'occupation de leur pays par les Français; d'ailleurs, presque toutes les familles avaient à pleurer un parent, un ami, tués ou pris dans les combats. Je compatissais à cette juste douleur, mais j'avoue que j'éprouvais un sentiment tout opposé lorsque je vis entrer à Berlin, comme prisonniers de guerre, marchant tristement à pied et désarmés, le régiment des gendarmes nobles, ces mêmes jeunes officiers si arrogants, qui avaient poussé l'insolence jusqu'à venir aiguiser leur sabre sur les degrés de l'ambassade de France! Rien ne saurait dépeindre leur état d'abattement et d'humiliation, en se voyant vaincus par ces mêmes Français qu'ils s'étaient vantés de faire fuir par leur seule présence! Les gendarmes avaient demandé qu'on leur fit faire le tour de Berlin sans y entrer, parce qu'il leur était pénible de défiler comme prisonniers de guerre dans cette ville où ils étaient si connus et dont les habitants avaient été témoins de leur fanfaronnade; mais ce fut précisément pour cela que l'Empereur ordonna de les y faire passer entre deux lignes de soldats français, qui les dirigèrent par la rue dans laquelle se trouvait l'ambassade de France. Les habitants de Berlin ne désapprouvèrent pas cette petite vengeance de Napoléon, car ils en voulaient beaucoup aux gendarmes nobles, qu'ils accusaient d'avoir pousser le roi à nous faire la guerre.

Et toc!

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Frank Grognet Nivelles
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